Momagri Les leçons de la crise pour restaurer la régulation des marchés agricoles
Dès le mois de septembre, suite à la hausse des prix alimentaires consécutive à la sécheresse aux Etats-Unis et dans la région de la mer Noire, la communauté internationale a appelé les différents acteurs de la planète à agir rapidement pour éviter une nouvelle crise alimentaire mondiale.
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La crise actuelle a souvent été comparée par les économistes à celle des années 1930. Cette crise est structurelle, profonde, et se caractérise par une instabilité des marchés des matières premières, qu’ils soient agricoles ou non. (© Terre-net Média) |
Cette succession de hausses et de baisses des prix agricoles pourrait a priori ne pas surprendre, puisque l’on sait que, par définition, les marchés agricoles sont instables. Sauf qu’elle succède à une longue période de stabilité des prix agricoles, laquelle s’est étendue de la fin des années 1930 au début des années 2000, à l’exception de la flambée des prix de la première moitié de la décennie 1970. Une abondante littérature économique, assortie d’estimations économétriques relatives aux facteurs explicatifs de cette volatilité des cours des matières premières agricoles, s’est toutefois rapidement répandue, nourrissant un débat portant non seulement sur ces facteurs, mais aussi sur le type d’instruments de régulation qu’il conviendrait de retenir pour stabiliser les marchés agricoles. […]
Intervenir sur les marchés agricoles : une nécessité
La théorie économique néo-classique enseigne que l’ajustement de l’offre et de la demande sur un marché s’effectue spontanément, pour peu qu’aucune perturbation ne vienne entraver la formation de cet équilibre. Ce dernier est toutefois fort difficile à obtenir dans le cas de l’agriculture. L’acte de production en agriculture résulte en effet d’anticipations qui peuvent ne pas aboutir à la formation d’un équilibre. En agriculture, la décision de production précède sa réalisation, la raison principale ayant trait à l’inélasticité à court terme de la fonction d’offre et également à une faible élasticité de la demande. Dit autrement, la décision d’offre est prise à la période (t-1) mais en fonction d’un prix courant à la période (t).Si, sous l’influence d’un prix relatif viande de porc/prix des céréales (céréales destinées à nourrir les animaux) favorable, les producteurs augmentent la quantité de viande et l’acheminent sur le marché, mais que, du fait d’une demande non extensible à l’infini, les prix chutent à la période suivante, obligeant ces mêmes producteurs à réviser à la baisse leur volume de production à la période suivante, une instabilité chronique du marché peut en résulter, instabilité pouvant dégénérer en oscillations explosives du marché.
C’est le fameux modèle du Cobweb, dans lequel les fluctuations du marché peuvent être divergentes. Amplifiant la critique relative à l’ajustement spontané de l’offre et de la demande sur un marché, ce modèle ouvre la voie à la justification théorique autant que pratique de l’intervention de l’État dans les mécanismes du marché agricole. Car une instabilité divergente du marché des produits agricoles est porteuse d’une dégradation du revenu des producteurs. La crise agricole des années 1930 aux Etats-Unis constitue de ce point de vue un épisode sur lequel il est encore nécessaire de se pencher. […]
La crise actuelle comme force de rappel
La crise actuelle a souvent été comparée par les économistes à celle des années 1930. Cette crise est structurelle, profonde, et se caractérise par une instabilité des marchés des matières premières, qu’ils soient agricoles ou non. Pétrole, matières premières à usage industriel connaissent aussi une volatilité de leurs cours. […]
La crise constitue une réelle opportunité pour reconnaître et admettre les spécificités des marchés agricoles (chocs endogènes, exogènes, anticipations erronées, information imparfaite, inélasticité de l’offre…). En ce sens, elle traduit tout autant la crise du discours hier dominant fondé sur la conviction que les marchés sont efficients. On sent bien, d’ailleurs, que le ralliement à l’idée de régulation fait de plus en plus d’adeptes, y compris parmi les économistes qui, hier encore, estimaient, parfois avec une réelle arrogance, que le fonctionnement d’un marché mondial libéré de toutes ses entraves, constituerait, à terme, l’outil le mieux adapté à l’approvisionnement des pays en produits agricoles et alimentaires.
Les postures ont donc bel et bien évolué depuis la réforme de la Pac de 1992 et une ouverture vers de nouveaux compromis est à escompter. […]
Recourir à des outils de régulation
L’impératif de la régulation en agriculture est rappelé plus souvent qu’antérieurement. L’évaluation des avantages et des limites des outils de régulation, passés, présents, futurs, opposera longtemps encore les économistes et les décideurs politiques. Mais dans ces controverses, on oublie que, historiquement, la régulation des marchés agricoles ne peut être dissociée d’une régulation macroéconomique d’ensemble. La Politique Agricole Commune fut bâtie conjointement à une modernisation des structures économiques et sociales dans l’Europe communautaire.
C’est pourquoi il est toujours erroné de l’étudier sans faire un détour par le régime de croissance qui s’est mis en place à partir de 1950, et vis-à-vis duquel la Pac s’est articulée. Le secteur agricole, pour spécifique qu’il soit dans son fonctionnement et dans la variété des modèles nationaux de production, a joué un rôle décisif dans la croissance globale (main-d’œuvre libérée pour l’industrie par la régression du volume de travail agricole et l’augmentation de gains de productivité en agriculture, croissance de la production agricole tirée par la dynamique de la consommation de masse, elle-même conditionnée par l’urbanisation et les compromis sociaux institutionnalisés autour de la formation du salaire, développement induit d’une industrie de la transformation…).
Les déséquilibres actuels caractérisant les marchés agricoles justifient à eux seuls le recours à des outils de régulation. Une fois franchie cette première étape de la réflexion, il faut entrevoir maintenant les conditions de son articulation avec un nouveau régime de croissance économique qui, en Europe comme dans le reste du monde – la crise en est le symptôme le plus visible – tarde à émerger. Croissance immatérielle, croissance verte, économie de service… autant de voies possibles, qui interpellent quant au rôle qu’y jouera l’agriculture. Une chose est sûre, l’intervention de l’Etat reste une donnée de base de l’activité économique.
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